De l’obligation d’enfouissement de leurs réseaux par les opérateurs de communications électroniques

La loi reconnaît aux exploitants de réseaux de communications électroniques un droit de passage sur le domaine public routier et les réseaux publics (hors réseaux de communications électroniques) et un droit d’occupation sur les autres dépendances du domaine public pour l’implantation de leurs ouvrages (art. L. 45-9 et suivants du code des postes et des communications électroniques - CPCE).

L’occupation ne doit toutefois pas être incompatible avec l’affectation du domaine (par exemple, s’agissant du domaine public routier, avec la libre circulation piétonne ou automobile, cf. art. 113-3 du code de la voirie routière - CVR).

Les dispositions du CPCE et du CVR ne permettent pas, en elles-mêmes, aux autorités locales d’imposer l’enfouissement ou la modification des réseaux de communications électroniques nouveaux. D’autres textes existent néanmoins qui mettent à la charge des opérateurs les coûts de telles opérations dans certaines circonstances spécifiques.

Les travaux requis dans le cadre de l’enfouissement des lignes électriques

D’après l’article L. 2224-35 du code général des collectivités territoriales (CGCT), issu de l’article 51 de la loi n° 2005-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, lorsqu’une personne publique prend l’initiative d’une mise en souterrain des lignes électriques aériennes, les opérateurs privés qui les utilisent en appui pour leurs ouvrages non radioélectriques sont obligés d’abandonner leurs dispositifs et d’utiliser les nouveaux ouvrages souterrains, en supportant eux-mêmes les frais du transfert pour ce qui les concerne.

Ils signent à cet effet avec la personne publique une convention qui précise leur participation aux travaux et éventuellement la redevance à verser pour l’occupation du domaine public.

 L’objectif de cette disposition est d’éviter aux collectivités locales, notamment les petites communes rurales disposant de faibles moyens, de devoir renoncer à leur politique d’embellissement du paysage (élément d’attractivité touristique) au motif que les opérateurs ne voudraient pas contribuer à l’enfouissement des lignes aériennes dont ils profitent.

 Le Conseil d’Etat a confirmé que les modifications successives de l’article L. 2224-35 du CGCT n’ont pas remis en cause l’obligation pour l’opérateur de communications électroniques de déposer et d’enfouir son réseau câblé aérien en cas de remplacement du réseau public aérien de distribution d’électricité. En particulier, l’absence d’engagement contractuel préalable entre les deux parties ne peut exonérer l’opérateur de communications électroniques de cette obligation (CE, 20 fév. 2013, Communauté d’agglomération de Saint-Quentin-en-Yvelines, n° 364025).

 La personne publique peut ainsi saisir le juge du référé d’une demande de mesures utiles sur le fondement de l’article L. 521-3 du code de justice administrative (CJA) en vue du prononcé d’une injonction, assortie d’une astreinte le cas échéant, ordonnant la réalisation des travaux d’enfouissement à l’opérateur des communications électroniques récalcitrant.

 Les travaux requis au titre d’autres corpus législatifs

Outre l’enfouissement des réseaux prévue au titre de l’article L. 2224-35 du CGCT, une obligation de même nature est prévue par d’autres textes.

  • Le code de la voirie routière

Le CVR prévoit une obligation pour les exploitants de réseaux de communications électroniques ouverts au public de déplacer, à leurs frais, leurs installations et ouvrages situés sur le domaine public routier à la demande du gestionnaire du domaine, dans l’intérêt de la sécurité routière (art. L. 113-1).

Les conditions de mise en œuvre de cette obligation sont définies par voie réglementaire (art. R. 113-11).

La portée du dispositif prévu par le CVR est cependant circonscrite aux cas dans lesquels les installations et ouvrages font courir aux usagers de la route un réel danger (TA Montpellier, 29 avr. 2010, Département de l’Hérault, n° 1001724).

  • Le code de l’environnement

Le code de l’environnement contient également des dispositions créant une obligation d’enfouissement des réseaux électriques ou téléphoniques lors de la création de réseaux nouveaux dans le cœur d’un parc national (art. L. 331-5), sur le territoire d’une réserve naturelle (art. L. 332-15) ou encore sur le territoire d’un site inscrit ou classé en raison de son intérêt naturel, artistique, historique, scientifique, légendaire ou pittoresque (art. L. 341-11).

Il peut être dérogé à titre exceptionnel à cette obligation lorsque (i) l’enfouissement est impossible en raison de nécessités techniques impératives ou de contraintes topographiques ou (ii) si les impacts de l’enfouissement sont jugés supérieurs à ceux d’une pose de ligne aérienne. Ces deux conditions ont un caractère alternatif.

Cette dérogation doit néanmoins être autorisée par arrêté conjoint du ministre chargé de l’énergie ou des télécommunications et du ministre chargé de l’environnement.

L’obligation jurisprudentielle de supporter les conséquences des travaux dans l’intérêt du domaine public

Les autorisations d’occupation domaniale présentent un caractère précaire dans l’intérêt du domaine public occupé. Le titulaire d’une autorisation d’occupation du domaine public doit donc supporter sans indemnité les conséquences sur ses installations de travaux publics entrepris (i) dans l’intérêt du domaine public et (ii) qui constituent une opération d’aménagement conforme à la destination de la dépendance en cause (CE, 6 fév. 1981, Ministre de l’équipement et de l’aménagement du territoire c/ Compagnie française de raffinage, n° 09689).

Il en résulte que l’occupant, sollicité par l’autorité compétente, doit déplacer ses ouvrages lorsque cela lui est demandé. Ce déplacement se fait à ses frais, autrement dit sans pouvoir réclamer d’indemnisation au maître d’ouvrage lorsque les conditions de la jurisprudence sont remplies.

  • Le critère de l’intérêt du domaine public occupé

Cette solution jurisprudentielle est d’autant plus contraignante et coûteuse pour les opérateurs occupant le domaine public que le Conseil d’Etat retient une acception extensive de la notion de travaux entrepris « dans l’intérêt du domaine public occupé ».

Ainsi, l’intérêt à prendre en compte n’est pas uniquement celui de la dépendance du domaine public routier affectée par les travaux, mais, plus largement, celui de la voirie dans le secteur concerné par l’opération d’aménagement (CE, 6 déc. 1985, GDF et autres, n° 50795).

La jurisprudence admet également que des préoccupations d’ordre esthétique, d’amélioration du cadre de vie urbain ou de mise en valeur du patrimoine puissent répondre au critère de l’intérêt du domaine (CAA Lyon, 3 mai 2005, Société France Télécom, n° 00LY02472).

Le Conseil d’Etat fonde son analyse sur l’intérêt subjectif des travaux entrepris, c’est-à-dire du but poursuivi, et non celui de leur intérêt objectif, lequel ne peut s’apprécier éventuellement qu’a posteriori (conclusions du commissaire du gouvernement M. Seban sur CE, 23 fév. 2000, Société de distribution de chaleur de Saint-Denis, n° 179013).

  • Le critère de la conformité des travaux à la destination normale du domaine public

S’agissant du critère de la conformité des travaux à la destination normale du domaine public, il importe peu que les travaux en cause ne puissent être normalement prévus (CE, 30 oct. 1970, GDF, n° 65752). Toutefois, l’appréciation par le juge du caractère normalement prévisible des modifications apportées au domaine a évolué dans le temps.

L’arrêt de Section du Conseil d’Etat du 6 février 1981, Ministre de l'Equipement et de l’Aménagement du territoire contre Compagnie française de raffinage et autres (n° 09689), a fait de la volonté du maître du domaine de faire évoluer le domaine occupé, pris dans son ensemble et non seulement dans la dépendance occupée, l’élément central de l’appréciation du juge. Une telle évolution du domaine, même si elle entraîne des changements d’assiette ponctuels des ouvrages, ne doit pas donner lieu à indemnisation lorsque ces modifications s’inscrivent dans une évolution normale et prévisible du domaine. Cependant, lorsque le contexte général change et que les aménagements sur le domaine, révélés par exemple par la réalisation d’ouvrages nouveaux, traduisent une mutation de domaine ne s’inscrivant plus dans les prévisions quant au devenir de la voie, le droit à indemnisation de l’occupant retrouve à s’appliquer (tel qu’il ressort des conclusions de M. Dondoux sur cet arrêt).

Cette ligne jurisprudentielle reste mise en œuvre à l’heure actuelle par les juridictions administratives (CAA Marseille, 12 mars 2009, Ministre des transports, de l’équipement, du tourisme et de la mer c/ Société France Télécom, n° 06MA02827).

  • Les possibles dérogations contractuelles à ce principe

La question de la possibilité d’aménager par voie contractuelle la prise en charge des frais de déplacement – pour les transférer au maître d’ouvrage des travaux – s’est posée.

Le Conseil d’Etat a semblé admettre la légalité de tels contrats, en précisant que les règles habituelles s’appliquent « sauf conventions contraires » dans le cadre d’un avis (CE, sect. travaux publics, avis 23 janv. 1990 relatif à la ligne de tramway Saint-Denis – Bobigny). Cette solution semblait pourtant trouver un accueil mitigé au contentieux rendant difficilement lisible la position du juge administratif à ce sujet (CAA Nancy, 3 juil. 2003, Communauté urbaine de Strasbourg, n° 02NC01088). Toutefois, la jurisprudence des cours administratives d’appel la plus récente à ce sujet semble confirmer la position exprimée par l’avis du Conseil d’Etat (CAA Bordeaux, 7 juin 2012, Société Autoroutes du Sud de la France (ASF), n° 11BX00834).

Il convient désormais que le Conseil d’Etat – saisi au contentieux – se prononce sur le sujet.

Julie de Bréon