Souveraineté et hydroélectricité
Les enseignements du rapport de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale
Les échos des débats de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France ont en large partie porté sur l’énergie nucléaire. Ceci est tout à fait logique eu égard à l’importance de cette source d’énergie dans le mix énergétique de la France.
Mais la lecture du rapport de la commission d’enquête, enregistré à l’Assemblée nationale le 30 mars 2023 (n° 1028), est également riche d’enseignements au sujet de l’énergie hydraulique, que ce soit pour sa contribution à la production et à l’équilibre du système électrique mais également pour les nouvelles contraintes qui s’imposent à elle.
L’hydroélectricité représente 26 gigawatts de puissance installée dont 14 gigawatts totalement flexibles, ce qui inclut notamment les stations de transfert d’énergie par pompage (STEP). Elle représente entre 12 à 14 % de la production d’électricité mais près de 20 % du mix à la pointe, lorsqu’il s’avère nécessaire de solliciter des énergies flexibles pour assurer l’équilibre du système électrique (p. 158).
L’hydroélectricité face à de nouvelles contraintes
La commission d’enquête insiste sur les nouvelles contraintes pesant sur la filière hydroélectrique. Parmi ces contraintes figurent l’impact du dérèglement climatique dont nous nous sommes déjà fait ici l’écho, les incertitudes relatives aux conditions de renouvellement des concessions hydroélectriques et les interrogations concernant le potentiel de développement hydroélectrique.
Le réchauffement climatique risque en effet de provoquer un assèchement sur le pourtour du bassin méditerranéen, en particulier dans les Alpes. La commission redoute que cet assèchement remonte au nord (p. 165).
Au-delà du risque de perte de production, cette contrainte renforcera les difficultés liées à la répartition des usages de l’eau (agriculture, industrie, loisirs, protection de la biodiversité, etc.).
Compte tenu de la disparition progressive des dispositions spécifiques permettant de renouveler les concessions de gré à gré, les nouveaux contrats doivent en principe être mis en concurrence, sauf à démontrer l’existence d’une exclusion permettant d’éviter l’organisation d’une telle procédure. L’Etat n’a toutefois pas engagé de procédure de publicité et de mise en concurrence à ce jour, créant de ce fait une véritable incertitude sur les conditions de développement de la filière (p. 166).
La commission insiste sur les problématiques soulevées par la multiplication des opérateurs, à savoir la difficulté à optimiser l’exploitation de la ressource et l’impossibilité de mutualiser les ressources (p. 167).
Si le potentiel de développement n’est pas négligeable – 5 gigawatts selon RTE s’agissant des ouvrages importants – tout nouvel investissement d’une telle importance doit être amorti dans un cadre juridique clarifié. Une modification substantielle est également susceptible d’affecter les contrats en cours et d’entraîner une remise en concurrence.
En ce qui concerne la « petite hydroélectricité » - à savoir les installations d’une puissance inférieure à une dizaine de mégawatts, le rapport relève que le potentiel « demeure méconnu et a fait l’objet de peu d’études ». Si ce potentiel a pu être évalué à 6,8 térawatts heure entre 2013 et 2015, il convient de prendre en compte les coûts et contraintes afférents à la rénovation et au raccordement de très nombreuses installations.
S’agissant de l’aménagement de nouvelles installations, le risque de recours des tiers doit également être pris en compte en cas de mise en œuvre d’un projet.
Si ces contraintes ne remettent pas en cause l’importance et la place de l’hydroélectricité dans le mix électrique français, elles montrent l’ampleur des défis à relever dans ce secteur.
Le statut des concessions hydroélectriques
Dans ce rapport, la commission d’enquête déplore également les arbitrages européens défavorables à la filière électrique française en citant par exemple le « régime atypique des concessions hydroélectriques » (p. 14).
Pour mémoire, les barrages et les usines hydroélectriques d’une puissance maximale brute supérieure à 4,5 mégawatts sont placés sous le régime de la concession (code de l’énergie, art. L. 511-5). Il en résulte que les exploitants de ces installations, principalement EDF, la Compagnie nationale du Rhône (CNR) et la Société hydroélectrique du Midi (SHEM), sont titulaires d’un contrat de concession attribué par l’Etat et que les biens nécessaires au fonctionnement du service public appartiennent, dans le silence de la convention, à l’autorité concédante.
Le rapport revient en détail sur le litige opposant la France à la Commission européenne depuis le début des années 2000. Afin de favoriser la libéralisation de la production d’électricité, la Commission a engagé différentes procédures tendant à la mise en concurrence des concessions arrivées à expiration. Si le cadre juridique a été actualisé en vue de permettre cette mise en concurrence, aucune décision n’a été prise. Le rapporteur considère « qu’une telle absence de décision, et la mise en place de cette situation ont fragilisé durablement le parc hydroélectrique et ses investissements sur lesquels pesaient une épée de Damoclès, qui n’a fait que s’accentuer avec le temps et les mises en demeure de la Commission européenne » (p. 205).
Proposition de la commission d’enquête
La conclusion du rapport est particulièrement sévère. Au titre des « six erreurs de notre politique énergétique », le rapport relève le fait d’avoir « laissé se construire un cadre qui a fragilisé le modèle énergétique français et EDF », ce qui inclut le statut des concessions hydroélectriques (p. 326).
Parmi les « 30 propositions pour les 30 prochaines années », la 9ème proposition de la commission d’enquête consiste à « maintenir les concessions hydroélectriques dans le domaine public, par exemple en leur appliquant un dispositif de quasi-régie pour éviter toute mise en concurrence et relancer les investissements nécessaires » (p. 337).
Cette proposition de quasi-régie fait écho aux discussions relatives au projet Hercule qui prévoyait la réorganisation d’EDF mais également à une proposition de loi enregistrée à la Présidence du Sénat le 1er septembre 2021. Elle aurait pour objet d’exclure la mise en concurrence de certaines concessions sur le fondement d’une relation dite « in house » avec l’autorité concédante (n° 813).
Rémi Ducloyer